LA GENTIANE, L'AVENTURE DE LA FÉE JAUNE
Collaborateur : Charles JOLLES
Éditeur : Cabédita
Prix : 24,50€
Nombre de pages : 179 pages
Année : 2006
Qui n'a pas admiré, au cours d'une promenade en été les hampes majestueuses des gentianes jaunes qui peuplent à profusion les pâturages d'altitude ? Pourtant ce ne sont ni la majesté de la plante ni la beauté des fleurs qui intéressent l'homme, mais sa partie cachée, la racine.
Depuis des temps immémoriaux, cette racine a été reconnue pour ses propriétés thérapeutiques tant en Chine qu'en Orient ou en Europe. Progressivement, elle a quitté l'officine des pharmaciens pour conquérir le palais des gourmets avertis, offrant sa saveur inimitable aux liqueurs, apéritifs et digestifs, puis aux préparations culinaires. Mais, à aucun moment et quel que soit l'usage que l'on en fait, la gentiane n'a perdu ses vertus thérapeutiques.
Mieux: la pharmacie et la médecine d'aujourd'hui confirment l'observation empirique des anciens et lui découvrent de nouvelles applications. Ce livre raconte l'histoire de la gentiane jaune, une plante mythique au même titre que l'absinthe, l'anis ou le quinquina. Elle est aussi un véritable phénomène de société intimement associée, depuis le milieu du XIXe siècle, au démarrage et au développement de la réclame, puis de la publicité dans toute l'Europe.
Les Auteurs
Jean-Louis Clade, docteur en histoire, auteur de nombreux ouvrages régionaux, œuvre depuis plusieurs années à la valorisation et à la sauvegarde du patrimoine rural de Franche-Comté.
Charles Jollès, docteur en pharmacie, docteur ès sciences, a fondé, en 1993, le Cercle européen d'étude des Gentianacées afin de promouvoir les gentianes et l'ensemble des produits et applications qui en sont issus dans les domaines les plus variés: artisanal, artistique, culturel, festif, gastronomique, industriel, publicitaire, scientifique...
Extraits de l'ouvrage
La gentiane jaune, vous connaissez ?
Elle ne peut pas passer inaperçue. Sa haute taille et la beauté de, ses fleurs attirent nécessairement le regard du promeneur, qu'il soit à pied ou en voiture.
Dans le Jura, suisse ou français, elle fait partie intégrante du paysage de moyenne montagne, comme les grands cônes hiératiques des sapins qui barrent l'horizon. Parmi les rochers affleurants, contre les murs de pierres sèches délimitant les parcelles, elle dresse sa majestueuse hampe verte, couronnée d'or, qui diapre le tapis herbeux des pâturages d'estive.
Mais la «grande» gentiane ne se cantonne pas seulement au Jura. Elle accompagne de sa floraison tous les grands troupeaux, Salers ou Aubrac, qui peuplent les plateaux du Massif central. Elle ne dédaigne pas les Vosges, les Alpes, les Pyrénées ou la Corse. On la rencontre du Portugal aux Carpates et jusqu'aux Balkans. Outre les pacages, elle privilégie les landes ou les espaces peu boisées comme les pinèdes claires ou les clairières. Pour la vache, c'est une mauvaise herbe et elle la délaisse.
L'arrachage commence en mai et se poursuit jusqu' en octobre selon les régions. Les conditions météorologiques ne modifient pas la qualité des racines, mais il est certain que,des pluies abondantes influent sur le poids de la récolte et la pénibilité du travail. Le cueilleur de racine de gentiane doit affronter les caprices du climat et vivre dans des caravanes ou des burons désaffectés, mais il connaît son affaire. A la densité des feuilles, il sait l'importance des racines qu'il va extraire. Manier un pic de six à sept kilogrammes dans le Jura ou une fourche du diable de plus de douze kilogrammes en Auvergne, n'est pas de tout repos. Aussi, choisit-il sans hésiter les plus touffues, celles qui ont quinze à vingt ans d'âge, Il sait aussi faire la différence entre les racines récoltées de mai à août, plus amères, et celles récoltées en septembre-octobre, plus sucrées et souvent utilisées fraîches pour être mises en tonneau en vue de la fermentation.
Une action sur le tube digestif
L'action sur l'appareil digestif, due à la présence de principes amers contenus dans la racine est connue depuis la nuit des temps. Elle est désormais confirmée par la découverte de composés particuliers appelés séco-iridoïdes qui sont précisément responsables de l'amertume. Il s'agit principalement du gentiopicroside, de l'amarogentine, de l'amaroswerine et de la swertiamarine. L'amarogentine et l'amaroswerine sont des substances parmi les plus amères que l'on connaisse, car leur indice d'amertume est voisin de 58 000 000 (l'indice d'amertume est l'inverse de la plus grande dilution pour laquelle l'amertume est encore décelable ; à titre de comparaison, pour la quinine sous forme de chlorhydrate, l'indice est de 200 000).
La gentiane met d'abord en appétit. Les substances amères agissent sur les papilles gustatives, ce qui provoque une augmentation de la production des sucs digestifs: sécrétions salivaires et gastriques. La gentiane favorise ensuite la digestion. L'extrait de gentiane exerce sur l'estomac un effet stomachique et anti-ulcéreux ; il provoque en outre une augmentation de la production d'enzymes digestives. Il stimule également la sécrétion biliaire et pancréatique. La combinaison de ces effets facilite la digestion du bol alimentaire. Sur l'intestin, il a un effet anti- spasmodique et carminatif, il accélère le temps de transit intestinal et élimine les coliques. Enfin, puisqu'il aide à la digestion, l'extrait de gentiane, consommé après le repas du soir, en digestif par exemple, accélère l'endormissement, il garantit donc un sommeil paisible.
La distillation
Pour la distillation artisanale, dans le milieu rural et chez certains bouilleurs de cru, on utilise un alambic de type traditionnel. Il comporte une cucurbite, un chapiteau ou «pipe» à col de cygne et un serpentin. Le tout est en cuivre, métal préféré à tout autre pour sa conducti:vité et son effet catalyseur neutre, lequel ne modifie pas le goût. de l'alcool. L'ensemble doit être en bon état et d'une propreté absolue. Seules la chaudière et la cuve de refroidissement sont en fer puisqu'elles ne sont en contact ni avec les matières, ni avec le distillat.
La distillation se déroule généralement en arrière-automne et hiver. Tout au long des opérations, il faut veiller à bien ajuster le chapiteau sur la cucurbite afin d'éviter toute déperdition de vapeur d'alcool. La maîtrise du feu (bois, gaz ou électricité) est importante. Un feu insuffisant limite le flux de distillat, tandis qu'un feu trop vif l'emballe et menace d'attacher au fond de la cucurbite la matière ligneuse et fibreuse des gentianes ou de la carboniser. La distillation se fait en deux temps ou «chauffes» ou «passes» ou «cuites». La première chauffe, celle de la masse des racines de gentianes fermentées, donne un liquide appelé brouillis, titrant de 20° à 30°. Au goût:, le produit est agréable, mais trop faible en degré alcoolique.
La seconde «chauffe» ou «bonne chauffe» ou «repasse» requiert tout le savoir-faire et le flair du distillateur. Le distillat, obtenu lors de la première «chauffe», est remis dans la cucurbite préalablement bien nettoyée. Le feu est plus que jamais surveillé pour assurer un débit régulier à la sortie du serpentin où, dit-on, la gentiane «coule de grâce». Le distillateur doit réaliser l'équilibre entre les «têtes» et les «queues» de distillation, c'est-à-dire établir empiriquement une moyenne, celle qu'il souhaite, entre les degrés les plus élevés et ceux les plus bas, entre le début et la fin du processus. Par exemple, au début de la «chauffe», le premier litre d'alcool titre 70°, puis Les degrés diminuent progressivement. A 20°, le distillateur stoppe la distillation.
La moyenne ou «cœur» s'établit donc autour de 45°. La surveillance est par conséquent constante et un alcoomètre nécessaire pour suivre l' évolution. Généralement, Le degré final de distillat de gentiane se situe entre 45° et 65°. S'il est trop élevé, on peut aussi l'abaisser en ajoutant. de l'eau pure ou distillée.
Une première approche scientifique
Avec l'essor de l'industrialisation, de la mécanisation et des moyens de transports, ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle que les distillateurs les plus audacieux conçoivent des produits à forte diffusion et que certains apothicaires pensent à faire sortir les spécialités de comptoir de leur arrière-boutique afin de lancer des produits destinés à un plus vaste public.
C'est le côté médicinal de ces boissons qui servira en premier lieu de support à la propagande pour leur lancement: boissons toniques, digestives, hygiéniques, fortifiantes, reconstituantes, stomachiques, réparatrices de l'estomac... La différence est parfois difficile à faire entre certains produits en vente chez l'épicier et chez le pharmacien de première ou de deuxième classe ! Pour le Bitter Secrestat, un des premiers apéritifs à la gentiane commercialisés en France, la réclame de la marque, citant différents passages tirés de la France médicale du 12 février 1859, revendique clairement les indications suivantes : «Les boissons amères rendent parfaite l'assimilation et sont d'une grande utilité contre l'obésité précoce...» - «Le Bîtter Secrestat... prépare avantageusement les voies digestives en activant la sécrétion du suc gastrique et la contractilité muqueuse de l' estomac, deux conditions importantes de la digestion» ou encore : «l'action fortifiante des amers sur le cerveau et le système nerveux a de l'influence sur l'homme et notre être moral ; le sentiment d'une vigueur plus grande agit sur le développement et le caractère des passions».
A la limite entre l'information et la publicité, les premiers articles consacrés au:x boissons à base de gentiane dans le journal L'Illustration, dès les années 1880, sont également très éloquents sur leurs vertus. On peut lire pour l'Amer Picon : «... cet apéritif puissant... cette liqueur, hors de pair, qui est recommandée comme apéritif, fébrifuge et tonique par les plus grandes sommités médicales».
Pour l'apéritif Bonal, un de ses fervents partisans, le Dr René Moreau, de Paris, donne la recommandation suivante : «J'ai pu me rendre compte personnellement des propriétés apéritives, toniques et stimulantes de votre vin. Et je vous complimente d'avoir su allier en lui les propriétés médicales à un goût excellent.» Le Dr Cuq, d'Albi, se montre encore plus explicite : «autant l'alcool en général doit être interdit aux malades, autant une liqueur amère doit être ordonnée pour favoriser le retour de l'appétit. La vôtre, écrit-il à la Distillerie Bonal, est non seulement innocente, mais encore bienfaisante grâce à ses trois composants : l'excellent vin de base - mettons le Banyuls par exemple -, le quinquina tonique merveilleux, et la gentiane, qui, pour être le quinquina du pauvre, n'a pas moins de valeur tonique, stomachique et apéritive.» Le Dr Felix Allard de Paris ajoute : «le Bonal est un des rares apéritifs qu'un médecin peut autoriser dans sa clientèle, j'en use en famille avec plaisir...» .
Les salons et les expositions
(1) La promotion des boissons gentiane va connaître son véritable essor grâce au développement des salons et des expositions à travers la France et toute l'Europe. Ces événements constituent des occasions uniques, voire exceptionnelles de montrer forces et atouts des produits gentiane. Les firmes vont y investir des moyens publicitaires considérables. Le vaste pavillon, spécialement conçu pour l'Amer Picon lors de l'exposition coloniale de 1906 à Marseille, constitue un bel exemple représentatif du dynamisme et de la croissance rapide prise par certaines marques. Celles-ci mettent en place une stratégie de marketing direct auprès des consommateurs avec l'organisation de dégustations gratuites et de remises d'échantillons à grande échelle.
(2) Plus fréquents et plus accessibles, les expositions et les salons régionaux constituent le rendez-vous annuel et incontournable pour la plupart des marques, surtout celles qui n'ont pas une diffusion nationale. Ces manifestations se préparent plusieurs mois à l'avance afin d'attirer l'œil et les faveurs des consommateurs. Pour ces occasions, nombre d'artistes sont sollicités afin de réaliser des décors uniques : panneaux, pancartes, tableaux, affiches... dont certaines représentent aujourd'hui de véritables pièces de musée. Digne de figurer dans un livre de records, la gigantesque bouteille de plus de cinq mètres de haut, perchée au sommet du stand de Lioran Gentiane, pour une exposition régionale à Clermont-Ferrand, dans les années 1930, est un témoignage frappant du dynamisme de la Distillerie de la Limagne à Riom dans le Puy-de-Dôme.
Les canifs, les couteaux et les tire-bouchons
Les canifs et les couteaux publicitaires, apparus dès la fin du XIXe siècle, avaient pour objectif de laisser aux bons clients, c'est-à-dire ceux qui commandaient le plus de bouteilles, un objet de réclame personnel qu'ils puissent cependant utiliser en public, Sur cet outil de poche figure toujours en bonne place le nom de la marque avec parfois une description simple du produit "Apéritif à la Gentiane Suze», «Salers Gentiane» ou un slogan tels que «Donne à ton meilleur ami un verre de Bitter Secrestat», «Buvez une Auvergne», et plus rarement une reproduction de l'étiquette comme sur un modèle des années 1930 conçu pour «Auvergne Gentiane». Les plus simples ont une ou deux lames mais progressivement, au fil des ans, ils vont gagner en sophistication et intègrent d'autres fonctions : tire-bouchon, décapsuleur...